La Conseillère

(Rp joué avec les joueurs Kiria, Edwel Imryn et Anah)

Dans l'Onirique, une immense tour de pierre argentée avait été improvisée par les mages de l'Ordre du Renouveau. Ils me faisaient rire, avec leur obsession des grands trucs en hauteur qui en mettent plein la vue. Placés en cercle face à une mine naturelle de pierre onirique, du sable jusqu'aux genoux, ils avaient fait appel à leur imagination pour asservir le précieux matériau. Des geysers de caillasse noire plus solide et plus lisse que l'écaille d'un dragon s'étaient arrachés de la grotte dans la montagne pour s'assembler, se plier et se modeler sous leur volonté, voltigeant de toute part dans une danse acharnée.

C'était ainsi dans l'Onirique, les limites ne se situaient que dans notre esprit et en moins d'une demie-heure.. Cinq-cents kamamètres de roche se solidifia avant de prendre une teinte métallisée, probablement une petite attention en mon honneur.

Après tout, je suis la reine de la journée...

Une quinzaine d'hommes étaient venus assister à mon combat et c'est sans surprise que notre beau blason étincelant arracha de francs regards de haine au peuple de notre hôte.

Une pluie torrentielle s'abattait inlassablement sur le territoire des Prêtresses d'Ankiraj - l'un des quatre peuples du Rêve. Leur dirigeante s'était toujours plutôt bien entendue, avec Edwel. Et c'était avec un large sourire carnassier qu'elle nous avait invité sur ses terres pour les épreuves de passage en grade.

La tradition, apparemment. Puisque l'amour pour le combat était l'unique chose que nous avions en commun avec ce Monde... il était tout naturel de tenter de jouer la carte du partage. Ainsi la Grande Prêtresse et ses filles étaient en échange autorisées à se délecter du spectacle. Voilà plus d'un an qu'ils tiennent cet arrangement, d'après mes archives intégrées.

Amusant de former l'élite de nos tueurs sur le territoire de leurs cibles favorites, non ?

C'était ma première visite dans l'Onirique. Comme les autres, je m'étais d'abord détendue avant d'inhaler les bougies parfumées et encens aux saveurs épicées que me proposait Kiria Tranchegorge, Conseiller. Le voyage avait été rapide et sans encombre.

Plus tard, j'apprendrai à voyager seule jusqu'ici et par mes propres moyens. Ça ne devrait pas être trop compliqué .. Après tout, je suis peut-être une cyborg, mais une cyborg avec un quart d'énergie onirique.Ici c'était un peu mon chez moi dans une certaine mesure .. Remercions celle dont le cadavre a servi à ma création.

Est-ce que c'est pour ça ? Que toutes ces femmes me fixent..

- Reculez mesdames .. reculez .. Le périmètre va être bouclé laissez passer la famille royale.

Deux mages dirigent la marche et la foule de prêtresses s'ouvre en deux par le milieu. Une race à l'aspect plutôt hostile, toutes portaient les cheveux longs et noirs et leur visage était recouvert de sortes de tatouages rougeâtres qui semblaient varier de forme au grès de leurs pulsions meurtrières. Maigres, des tenues aussi extravagantes qu'imposantes de soie sombre, agrémentées par les ossements de leurs ennemis. Ou, de leurs maris.

Alors que je suivais docilement ma petite troupe, l'une d'entre elles s’agrippe à mon bras.

- L'Onirique pleure sur toi aujourd'hui .. il pleure de honte et de douleur.

Des mèches détrempées collaient sur son visage trop proche du mien. Son regard laiteux sursautait furieusement de haut en bas et je distinguais à peine ses conneries sous l'averse.

- Arrière Prêtresse si tu ne veux pas recevoir une lame entre les côtes ..

Elle siffle et se retire, comme les autres. On approchait de la Tour et c'était Edwel qui venait de me rejoindre.

- Ces folles furieuses me dégoûtent. Leurs présages emmerdants et leurs maléfices à tout va.. C'est une chance que cette race-ci contrairement aux autres ne puisse pas s'incarner dans la Réalité. Même Sram ne veut pas l'une de ces choses sous sa protection.

- Alors elles sont cantonnées au Plan Astral.

- Exactement.

- Et les trois autres peuples ?

- Les Druides d'Huldjis sont ma foi plus agréables à vivre. Les Filles de l'Hydroz un vrai plaisir de traiter avec leur Dirigeante, Fi. Et quant aux Chevaucheurs de Hertz … Si ça ne dépendait que de moi cela ferait longtemps que j'aurais rasé tout leur territoire de tarés trop gavés en testostérone.

Je riais discrètement. Edwel n'avait aucune notion des convenances et il était prêt à déclencher des guerres plutôt que de devoir surveiller son langage. Fort heureusement, son influence et son pouvoir décourageaient toute riposte et son irrespect quasi constant restait impuni.

- Quand tu seras Conseillère, tu accéderas à toutes nos connaissances sur l'Onirique. Ta mise à jour est déjà prête.

- Tu restes donc persuadé que je vais devenir Conseillère.

- Parce que toi non ?

Il se met à me regarder, le sourire amusé.

- Est-ce que par hasard tu aurais peur, Cyborg Anah ? Allons elle ne va pas te manger.

- Elle ? Parce que mon adversaire a déjà été tiré au sort ?! Et tu ne me dis rien ?

- Oups .. J'en ai déjà trop dit. Tu vas l'a-do-rer.. Par Rushu quel temps dégueulasse. Foutues entités qui ne savent pas gérer leur météo..

Je n'étais pas un modèle de combat mais de recherches .. Certes j'avais de la puissance à revendre et le gêne hybride de Mirye qui coulait en moi m'apportait quelques avantages indéniables mais...

Tiens, je manquais à ce point de confiance en moi ? Ou alors était-ce la sensation de sortir des sentiers battus et de m'éloigner de mon objectif ? Conneries. Je serais d'autant plus efficace à ce poste.

Alors .. Peur de finir réellement .. libre ? Edwel pourtant avait de suite approuvé l'idée. Il trouvait l'expérience follement intéressante. Voir celle qui devait lui appartenir tel un jouet rejoindre contre toute attente son Conseil suite à un kidnapping libérateur, ça lui accrochait ce genre de sourire dont il fallait se méfier.

- On y est. Faites évacuer le peuple Ankiraj et Anah, passe en nature Onirique et rejoint le toit.

Ainsi donc les 500 kamamètres de tour ne serviraient à m'offrir qu'une plateforme de 30k² en hauteur et sous la pluie.

Je murmure pour moi-même : Onirique...

Deux fentes se creusent dans mon dos et le squelette d'une première aile jaillit de la fente, rapidement suivi du second. Six mètres d'ailes. Je limite ma transformation et fais l'impasse sur les cornes et la queue bien que je suis certaine que ça aurait fait son petit effet sur les Prêtresses. Évitons de remuer le couteau dans la plaie et … J'ai parié avec Kiria que je remporterai ce combat sous mon aspect humain.

Mon énergie grimpe en flèche et j'ai la cervelle enivrée par un nouveau flux d'informations. La roche onirique du bâtiment se met à luire sur mes capteurs visuels, signe que je viens de prendre l'initiative sur la volonté des mages. Contrôler une telle quantité de pierre aurait été un avantage certain du haut de cette tour mais .. je résiste à la tentation.

Qu'est-ce que j'ai envie de tout cramer … Et qu'est-ce que je déteste la pluie.

Je détecte une prise de contrôle à moins de dix kamamètres. Étonnement puissante. Je cède rapidement ma place de première.. Inutile d'engager un affrontement de volonté ce serait perdre en énergie avant le combat.

Sur la base de la Tour .. une bulle de roche se crève et un bras entièrement noir en jaillit pour me saisir par la taille, ses longs doigts m'enveloppant la moitié du corps. Je n'ai pas le temps de me poser la moindre question qu'un petit coup de jus au niveau de la colonne m'avertit d'un danger imminent. Je laisse mon esprit toucher la pierre ..

Bordel.

Elle compte me broyer.

Elle .. ?

Je hurle. Mes deux jambes venaient de littéralement éclater et un bain de sang s'était mêlé à la pluie avant d'éclabousser de rouge mon public 300 kamamètres plus bas.

Edwel hurlait, euphorique : « Bah quoi t'as tes règles pétasse ?! » avant de partir dans un éclat de rire en rythme avec mes cris de souffrance.

L'arène formée par les mages se rapproche, la vitesse me desséchait la gorge et mon agonie préfère faire silence plutôt que de me laisser suffoquer. Je parviens à me taire, livide.

500 kamamètres du sol, le bras de roche se débarrasse de ma moitié de corps et me projette à pleine puissance sur le toit de la Tour, l'impact me brise le dos net et je reste immobile, incapable de relever le visage pour ne serait-ce qu'apercevoir mon adversaire, celle qui était responsable de mon émiettement.

Pourtant je la sentais, elle était si proche … Son énergie emplissait mes poumons et si j'en avais eu la force, j'aurais probablement souillé notre terrain de jeux d'une belle gerbe.

Le combat pouvait donc commencer …

Je ne détectais aucun geste de la Conseillère. Ni même aucun signe d'agressivité. Immobile, elle restait face à moi. Les minutes passent, je suis au bord de la perte de conscience. Mon aspect onirique encore actif, je sentais une régénération larvesque ramper avec peine le long de mon ventre déchiré. À peine la chair se reformait qu'elle partait en cendres. Bien entendu. Ma régénération ne risquait pas de reconstruire mon squelette de métal ni me replanter une flaupée de techno-puces de comptabilité organique.

Est-ce qu'elle allait rire ? M'achever ? Est-ce que j'avais déjà perdu ?

Six .. longues et humiliantes minutes. De toute évidence le combat ne commencerait que lorsque je serai en mesure de me relever. Fair play, pitié, ou peur de s'ennuyer face à une moitié de candidate à moitié crevée ?

J'avais abandonné l'idée de me régénérer et je concentrais mon énergie pour opérer un nouveau changement d'aspect. L'humanité me donnait accès aux capacités nécessaires à mes réparations mais il aurait fallu une console de maintenance et plus de temps. L'onirisme éventuellement m'aurais permis de me servir de la pierre onirique pour réparer mes systèmes mais ça aurait demandé une concentration monstrueuse et elle n'aurait pas mis plus de deux minutes à en prendre le contrôle.

- Je.. suis à vous .. dans une seconde Conseillère..

Je ricane, ça avait probablement d'ailleurs plus l'apparence d'une contorsion de douleur. La situation était surréaliste. Je repense à la petite moue confiante de cette ordure d'Edwel qui s'était bien gardé de me donner le moindre avertissement. J'étais passée de cyborg de recherche au service du Maitre … À candidate au grand Conseil. La transition était rude.

Mais là, j'y suis. Brusquement je dégage une première onde de choc. La pluie est soufflée et commence à apparaître autour de mon corps un manteau d'ombres rouges et noirs, semblable à un feu pourvu de centaines de yeux fixés sur ma proie.

Mon pelage d'écatte se noircit complètement et mes deux billes bleues virent au gris, la pupille écarlate. Tant pis pour mon pari. Passer sous la nature de la Shukrute et aussitôt effectuer une transformation démonyaque, c'était une prouesse qui m'offrirait une dizaine de minutes avant l'effondrement total. Mon corps se reconstruit, autogéré par la métamorphose et très peu soucieux du manque de techno-puces.. Une membrane se tisse entre les os de mes ailes et mes crocs de métal s'allongent de quelques centimètres supplémentaires.

Rester calme .. attendre le bon moment ..

La nuée d'ombres se dissipent et je braque mon regard fiévreux sur elle.

Son éclat manqua de faire sauter ma concentration. La moitié du toit plat de la Tour avait été modelé. Le sol était orné de fruits, créatures et Dieux de chaque Monde. Un trône s'élevait, le détail et la beauté des sculptures qui l'entouraient étaient dignes d'une maîtrise des lois oniriques d'une Entité.

Elle était nonchalamment assise, superbe. Des cheveux blancs, les yeux entourés de noir, une épée à la main et une tenue de soirée des plus exquises. Elle s'offrait même le luxe de combattre avec des escarpins brillants à hauts talons.. Ses ailes n'avaient rien à voir avec le commun de l'Onirique. On aurait dit de la dentelle d'argent.

Ainsi voici l'une des Conseillères de l'Ordre ..

J'étais enfin debout, et j'avais dix minutes devant moi. Me relever avait déclenché les « encouragements » d'Edwel, plus déchaîné que la tempête. Comment un humain pouvait avoir autant de voix ?

Plus de temps à gaspiller cependant et je fonce sur elle. Le sol s'ouvre sous mes pieds, juste assez pour me creuser une chute jusqu'en bas sans me laisser l'espace pour déployer mes ailes. Comble du détail, le tunnel se hérisse de pics acérés en pierre tout du long. Je ressens les premières morsures avant de me saisir de l'un des pieux pour me propulser vers le haut alors que l'ouverture se refermait sur moi. La fine couche à peine reformée se brise à notre rencontre et je joins mes deux paumes en réapparaissant pour lui coller un rayon d'énergie du vide.

La Conseillère réagit aussitôt d'un coup de lame dans les airs.

Sous mes yeux, une faille onirique s'ouvre, l'espace crevé en deux sur fond d'or. Mon rayon disparaît à l'intérieur, mes oreilles se dressent et mes pupilles s'allongent. Puis le son d'une déchirure dans mon dos, elle ouvre une seconde faille sans ciller et mon rayon est renvoyé au centuple. Mon corps se dissout en ombre au dernier instant et je laisse l'attaque m'emporter.

Jusqu'au bout elle n'aura pas exprimer la moindre émotion, même au moment de l'impact. Un mur de roche se dresse entre nous et je me détache du rayon pour l'éclater de ma lame onirique, laissant le champs libre à la trajectoire de l'attaque. Mon corps bascule en avant et la décharge me frôle tout le long du dos jusqu'à frapper la Conseillère au visage. Ses yeux passent au blanc et elle s'effondre sans un bruit contre le dossier de son trône.

Je me laisse sombrer dans une profonde torpeur .. me désintéressant complètement des voix des mages qui se rapprochaient de moi.

Quatre minutes et vingt-deux secondes, j'étais Conseillère.